Les premiers rayons du soleil du mois de mars annonçaient l'arrivée du printemps. Il était encore un peu tôt pour se réjouir, et les températures tenaient les manteaux bien fermés, mais il faisait bon de sentir les jours devenir plus longs. Surtout avec toutes les rumeurs de disparitions, il était bien plus rassurant de rentrer de jour chez soi. Pernelle habitait juste au dessus de sa boutique, certes, et ne risquait pas grand chose puisqu'elle sortait peu, mais cela ne l'empêchait pas d'aimer le soleil. Et dans sa conquête de bonheur et d'ouverture au monde, elle avait décidé d'aller au parc. Seule.
Grosse écharpe autour du cou, gants fins en cuir aux mains et manteau cintré, elle était assise sur un banc, visage exposé à la chaleur. Il n'y avait pas de vent, ce dimanche, et tout en devenait beaucoup plus agréable. De son sac, elle sortit son carnet, dans lequel elle notait les nouvelles odeurs et les idées d'association qui lui venaient en tête. Stylo-plume en main, elle ferma ses paupières pour humer l'air, mais les rouvrit aussitôt. Les paroles de Caleb, bien des années plus tôt, au début de son mutisme, venaient de chanter à ses oreilles. « Si tu ne peux pas nous le dire, écris-le, alors. » Beaucoup disaient qu'il était plus facile de l'écrire que de le dire. Etait-ce vrai ? Elle l'avait dit, déjà, à Caleb. Mais elle ne parvenait toujours pas à passer outre, à vivre pleinement. La peur était toujours présente, tapie par dessus son courage. Et elle lui bouffait littéralement la vie, encourageant ses sentiments à devenir monstrueux. Si elle parvenait à se défaire de la rose, peut-être pourrait-elle redevenir normale. Caleb ne serait plus qu'un frère, elle une sœur et elle aurait des amis, et des petits amis. Tout serait normal.
La parfumeuse tourna quelques pages pour faire face à une feuille vierge qu'elle déchira afin de la placer sur la couverture rigide et inspira un grand coup. Essayer de guérir par ce biais ne lui ferait aucun mal de plus, après tout. La plume fit couler ses premiers mots d'encre.
Et la nuit engloutit les réverbères de son ombre angoissante. Les pierres de la vieille ville ont perdu la chaleur du soleil et sont aussi froides que la mort. Je le sens. Je sais ce qui va se passer. Du moins je pressens que rien de bon ne m'arrivera ce soir, car il n'est pas là. Sotte que je suis d'avoir laissé le talisman de ma vie rentrer sans moi. Qu'est-ce que je pensais ? Être assez forte ? En fait, je ne pensais pas. On ne pense pas à ça quand on a déjà fait ce chemin mille fois. Un chemin de retour, c'est rassurant, en principe.
Je me souviens de lui dans les moindres détails. Un peu plus grand que moi et fin, très fin, même derrière sa toge. Pourtant il ne manquait pas de force. Ses iris bleutés me sourient, amicales, et sa tenue de saint m'enlève toute crainte. On fait confiance à la religion : « Tu ne tueras point ». Il ne m'a pas tué. Son briquet allumé à la main ne m'indique rien. Les lumières sont faibles dans les ruelles, il se rassure, voilà tout. Je le vois faible, et perdu.
Et l'étaux de l'horreur surgit sur ma peau. Il me serre à m'en couper le sang, et son feu me lèche le visage à coups de hurlement. J'avais l'habitude des petites brûlures, en cuisine. Mais pas de celles qui durent. Pas de celles qui chantent entre ses lèvres pincées pour me purifier du pêché que j'incarne, que l'on incarne.
Pourquoi moi ? Pourquoi s'attaquer à la fille, et pas au frère, au père ou à la mère ? Famille de sorciers, qu'il a dit. Pas juste moi. Nous tous. Alors pourquoi moi ? Je leur en veux, parfois. Je ne pourrais jamais leur souhaiter pareille épreuve, mais...Juste, j'aurais voulu que ce ne soit pas moi.
Mais c'est moi. Parce que je suis la faible. Et qu'il me retient plus par la peur que par la force. J'aurais pu m'enfuir mille fois. Et je n'ai pas bougé, comme acceptant d'être brûlée vive sans savoir ce que j'ai fais. Peut-être mon subconscient savait-il déjà les tourments que mon cœur allait m'imposer par la suite ? Etait-il écrit, ce soir là, que je serai un monstre ?
A présent que les écailles du diable marquent ma peau, qui pourrait lui donner tort, à cet homme ? Moi la première je m’immolerai si je n'avais pas si peur du feu.
J'ai appris à fuir il y a plus de cinq ans. Personne ne fuit mieux que moi, à présent. Un jour, on m'a demandé qu'est-ce qui pouvait bien me courir après qui soit si repoussant, mis à part un homme. Cela a fait beaucoup rire. Moi j'ai souris. Pour faire plaisir.
La rose me poursuit. Le souvenir de la rose me hante chaque seconde, juste derrière moi. Elle me frôle les cheveux, quelques fois, car l'homme et la femme aiment la rose. On la sent dans les bouquets, dans les parfums, dans les recettes et même dans les désodorisants. Elle me touche, m’attrape presque, me nargue.
Mes parents se sont toujours félicités de m'avoir donné une excellente mémoire.
Moi, j'attends que la vie m'offre un grand coup sur la tête pour me la faire perdre.
Parce que c'est le souvenir qui me tue, plus que le temps qui passe.
Je serais morte avant d'être vieille, à ce rythme.
Et les gens visiteront ma parfumerie comme le lieu un peu étrange, presque hanté, de la fille qui est morte d'avoir fuit son passé.
Aucune larme ne vint défaire son maquillage discret du matin. Elle avait réussi. Elle avait écrit. Sans fuir, sans hurler, sans s'arrêter. En tremblant, un peu. Mais c'était un début. Pernelle se dit alors qu'elle ferait bien de le faire plus souvent. Elle n'aimait pas trop les mots car ils ne voulaient rien dire. Mais lorsqu'on ne les adressait qu'à soit, ils ne pouvaient avoir qu'un sens et un seul. Et c'était assez reposant. Sourire de fierté aux lèvres, elle prit la feuille d'une main et ouvrit son cahier pour la ranger. Mais soudainement le vent se leva, non content d'avoir dormi si longtemps. La bourrasque la surprit tant, qu'elle ne prit pas garde à raffermir sa prise trop légère sur la feuille de confidences. Le papier s'échappa. Tout comme le petit cri de désespoir de la jolie blonde. Laissant tomber cahier, stylo et sac, elle se jeta à la poursuite de ses mots d'âme. En vain. La bise donna des ailes à son souvenir, si bien qu'il prit des cieux trop hauts et trop loins avec une rapidité que la jeune fille ne put suivre. Paniquée, elle souffla avec difficulté, éreintée de cette petite course poursuite. Elle rejoignit son banc, où rien n'avait été volé, fort heureusement. Déboussolée, elle resta un moment là, plantée, s'imaginant milles scénarios plus catastrophiques les uns des autres. Puis elle se détendit. Peut-être bien que personne ne trouverait ce papier. Et quand bien même, personne ne saurait quoi en faire, sinon le jeter. Elle attendit encore un peu de se calmer, puis réalisa une douce chose. Elle attrapa son téléphone et composa le numéro de Caleb. Il répondit à la première sonnerie, peu habitué à ses appels, elle qui préférait venir le voir directement.
-J'ai une bonne nouvelle.
Son visage se fendit d'un grand sourire, en réponse à celui qu'il devait avoir, à l'autre bout du fil.
-Mon passé vient de s'envoler.
[Libre à toi de poursuivre, ellipse, tout ça Pernelle se sentant "libre", tu pourras la croiser facilement un peu n'importe où J'ai mis le rp au parc, histoire de laisser de la marge, mais après tu peux faire bouger le truc, hein ! ]