L'eau ruisselait sur ses cheveux, s'insinuait entre les pores de son visage, pour disparaître dans l'écoulement de la douche. Une douche, le moment que Caleb préférait dans la journée. Eliminer toutes les pensées et frustrations de la journée, penser à autre chose qu'à son petit commerce.

Car la journée fut bien trop longue, mais surtout trop monotone. Ahna était partie depuis une heure, rentrant chez elle par le même chemin. Ils avaient fait les comptes, quelques discussions banales plus tard, la clochette de la boutique sonnait pour la dernière fois de la journée. Caleb avait enfin pu retourner la pancarte et exposer le côté où était inscrit en lettres calligraphiées “fermé“. Quel plaisir cela était !
La journée fut définitivement bien trop longue. Son premier gros client était venu lui demander une pièce d'une grandeur indécente et pour le week-end qui plus est. On était lundi, il lui restait quatre jours pour finaliser le projet, choisir les graines de cacao – travaille d'orfèvre – faire le chocolat lui-même, il se refusait à acheter le chocolat tout prêt des fabriques. Tout était fait maison dans sa chocolaterie. Il devait créer chaque partie de la pièce chocolatée, les monter toutes ensembles et terminer son oeuvre par les finitions. Comme si cela n'était pas déjà assez harassant, il s'agissait d'une de ses créations spéciales. Qu'était-ce ? Ni plus ni moins que la mise à l'épreuve de son talent. Donner à chacune des bouchées une vision féerique. Son client désirait offrir le plus beau gâteau d'anniversaire à sa fille. Elle avait dix ans et rêvait de fées et lutins. Quelles visions créerait-il ? Il devait simplement y réfléchir. Mais il ne le ferait pas ce soir. Ce soir, il voulait se détendre.

Le chocolatier éteignit le jet. Cela faisait depuis une vingtaine de minutes qu'il tergiversait sous la douche, il était plus que temps d'en sortir avant d'être aussi fripé qu'un pruneau. Un linge autour de la taille, les cheveux collant sur son visage, il sortit de la salle de bain. Un tiroir ouvert, il enfila un jeans après un sous-vêtement (c'est toujours mieux...), prit un pull au hasard, un sweet bleu marine, une paire de chaussettes. Retournant dans la salle de bain, il sécha sommairement ses cheveux à l'aide d'un linge. La buée recouvrait le miroir. D'un geste, elle n'était plus. Caleb sortit de la salle de bain après avoir éteint la lumière, mit ses chaussures et chopa sa veste de cuir au passage. Il dévala les escaliers et fut enfin dehors. La clé tourna deux fois, le magasin était fermé. Enfin il pouvait se détendre.

Sa thunderbird était garée à l'angle. Il aurait pu la prendre, partir toute la nuit, rouler et se poser dans un bar au bord de la route. Il ne le ferait pas. Il était là depuis peu, il lui fallait connaître la ville, rencontrer des gens. Surtout ce dernier détail. Caleb aimait connaître les gens avec qui il cohabitait, il préférait savoir à qui il avait à faire. Et il fallait avouer qu'il n'avait jamais été partisan de la solitude. Le monde, il aimait cela. La compagnie, n'importe laquelle. Il avait besoin de rencontrer du monde, de parler. Et c'était ce qu'il comptait faire ce soir-là.

Caleb ne prit donc pas sa moto et se dirigea dans la direction opposée. Il sortit de la galerie marchande, prêt à hanter les rues jusqu'à retrouver le pub irlandais. C'était certain, il rencontrerait des gens là-bas. Ce pub était le plus réputé de la ville, tout le monde le connaissait, tout le monde en parlait. Et il paraissait même que l'ambiance y était des plus indescriptibles. C'était pour ces raisons que le chocolatier tenait à s'y rendre ce soir-là.

- Excusez-moi, le pub irlandais, vous savez dans quelle direction c'est ?

Il venait d'arrêter un homme, plutôt grand, avec une barbe façon marin. Un air sympathique et plutôt intéressant en sommes.

- Vous tourner à gauche, aller tout au bout de la rue et dans l'angle, à droite, vous trouverez le pub irlandais. Dans la rue.

- Merci beaucoup !

Caleb suivit les instruction de l'homme à la lettre. Tourna à gauche, alla tout au bout de la rue, puis tourna à droite. Il reconnut immédiatement le pub irlandais. Plusieurs personnes discutaient à l'extérieur un verre à la main ou une cigarette, ou même les deux, de la musique s'échappait de l'intérieur. Du bruit et des gens. Ce qu'il fallait au chocolatier pour se détendre. Il n'attendit pas une minute de plus. Il se dirigea vers le pub, y entra et s'accouda au comptoir en commandant une pression. Irlandaise, bien évidemment. Apparemment la meilleure de la région.

Il apporta le verre à ses lèvres pour vérifier les rumeurs.