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 Le Clown

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Le Clown
J'ai un gros nez rouge, deux traits sous les yeux
Le Clown

Messages : 50
Date d'inscription : 14/01/2014

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MessageSujet: Le Clown   Le Clown EmptyLun 3 Fév 2014 - 15:58


   

   

   
Le Clown

   
Aussi loin que je me souvienne, on m’appelle le Clown. Ma mère m’appelait son petit clown. Mon père m’appelait petit clown. Les gens, dans la rue, m’appellent le clown. Et ceux qui me connaissent un peu mieux ont juste fait tomber le déterminant. Alors, certainement, je m’appelle Clown. Un jour, je me suis appelé Amilou, peut-être. C’est ce que j’ai dit à Cael, en tout cas, le seul à avoir jamais voulu m’appeler autrement.

Certainement, je ne suis que ça – un clown. Un clown au visage blanc, peint en permanence, un clown avec un masque, un masque d’émotions variées, et des vêtements colorés, informes. Un clown – c’est la seule chose sur lesquels les gens arrivent à se mettre d’accord lorsqu’ils doivent me décrire. Parce que je joue, en permanence, un rôle – et mon Talent me permet de jouer le rôle que les gens qui m’entourent souhaitent me voir jouer. Mon corps, lorsque je laisse mes bras le long de mon corps et que je me fige, est neutre. Ma taille est neutre, ni trop grande ni trop petite – peut-être un peu grande pour une femme, un peu petite pour un homme. Ma voix, elle aussi, est neutre – une voix d’alto, entre deux, ni grave ni aigue. Neutre comme au théâtre. J’ai trente-deux ans ; certains s’imaginent que j’en ai dix-huit, certains que j’en ai quarante-cinq. Certains s’imaginent que je suis homme, d’autres que je suis femme. Certains que je suis heureux, d’autres que je suis malheureux. Certains que je suis rieur, d’autres que je suis pleurnicheur. Je ris jusqu’aux yeux, je pleure jusqu’aux yeux, des yeux clairs, des yeux bleus et noirs, des yeux dont l’écriture, au milieu, est illisible. Je ne suis que ce qu’ils veulent bien voir en moi ; je suis acteur, acteur permanent, acteur qui jamais ne fait tomber le masque, jamais ne laisse le moindre sous-texte briser l’illusion.

Je sais tout jouer. Ceux qui ont besoin d’être écoutés trouveront en moi une oreille attentive ; ceux qui ont besoin d’être réconfortés trouveront une place entre mes bras ; ceux qui ont besoin d’être bousculés, réveillés, trouveront en moi une voix dure et patriarcale ; ceux qui ont besoin de vent, de bruit, de mots, m’entendront parler sans fin ; ceux qui ont besoin d’être laissés en paix me verront m’écraser comme une souris, disparaitre ; ceux qui ont besoin d’une victime me verront encaisser ; ceux qui se rassurent de leur supériorité grâce à l’infériorité des autres me verront balbutier ; ceux qui restent incertains et se raccrochent aux autres pour se retrouver verront en moins un guide et un chef ; je peux être à la fois la sœur, le frère, la mère, le père, l’amant, le mari, l’ami, l’ennemi, le sérieux, le rigolo, le patent, l’impatient, le calme, le coléreux. Je suis tout et je ne suis rien. « Je » est un autre – « Je » n’est pas. Parce que tout le monde demande toujours, inconsciemment, quelque chose de l’autre. Et moi je donne. Je donne ce qu’ils veulent, puisque « je » n’est qu’une construction fantasmée pour eux.

La seule chose que je ne fais pas pour les autres, c’est jongler. Jongler c’était la fuite vers ailleurs – j’ai appris très jeune, avec des pommes. Je me concentrais sur les pommes, et j’essayais d’oublier où j’étais. Juste les gestes. Encore. Encore. Les changer, mais ne jamais briser la danse. Se couper du monde. Se couper des voix. Des voix qui parlent, trop fort, à côté. Ne pas entendre. Ni les cris. Ni les gestes. Aller ailleurs. Quand je regardai dans le vide, entre les pommes, c’était comme un miroir, comme une flaque, comme la surface de l’eau, comme un portail qui s’ouvrait ; je voyais des images danser, dessus, des images d’ailleurs. Au début je croyais rêver – j’imaginais des scènes, certainement. Puis un jour, j’ai essayé de contrôler – je voulais voir le voisin. J’ai vu le voisin. A sa fenêtre, en train de fumer une cigarette. Alors j’ai tourné la tête, vers dehors – et il était là. A sa fenêtre. A fumer une cigarette. Les pommes étaient tombées au sol, brutalement, et le silence s’était fait dans l’appartement. Mes parents étaient sortis. Puis les cris s’étaient dirigés contre moi, plutôt qu’entre eux : On ne joue pas avec la nourriture.

Mes parents ! Que dire. Ma mère était actrice, et une bonne actrice, puisque de la lignée des Luskan. A Paris. J’ai ruiné sa carrière. « Mon petit clown, ne peux-tu pas être un peu sérieux ? Tu sais que c’est de ta faute, tout ça ? Complètement de ta faute… Regarde ta vieille mère, toi, puisque personne d’autre ne la regarde plus ! » Mon père aussi était acteur. Ils se sont rencontrés sur un court-métrage.

J’ai fui la maison à seize ans. Je jonglais dans les rues de Paris, ramassais mes piécettes. Je me suis liée à une étrange Tresadenn, pendant deux, trois ans, une Tresadenn qui avait pour gagne-pain de faire des maquillages aux enfants dans la rue – elle qui avait un Talent pour dessiner les véritables émotions des gens. Elle a peint mon visage, à moi aussi.

Puis je l’ai perdue à jamais.

J’ai pris mes habitudes dans cette ville trop grande pour l’humanité. Je me plaçais toujours sur le même trottoir, toujours aux mêmes heures. Je jonglais. En général, personne ne me regardait. Les gens passent, regardent ailleurs, ignorent, honteux. Moi, je regardais dans le vide, entre mes quilles ou mes balles, et je pensais à mon père, ou à ma mère. Je les observais de mon coin de trottoir, et mon cœur tombait – j’avais bien fait de partir. Les coups continuaient à pleuvoir. Parfois il pleuvait dans la rue et alors j’étais complètement seul, à balancer mes balles vers le haut tandis que la pluie jonglait vers le sol. Parfois il faisait bon, je me prenais au jeu, tentais de captiver l’attention des badauds, leurs parlais, jonglais avec eux.

J’avais mes habitués – ceux qui passaient toujours dans cette rue pour aller au travail, le matin. Ceux qui dérivaient du parc d’à côté. Il y avait le garçon, aussi – le petit garçon qui était descendu si souvent s’installer à côté, à regarder les gens, à m’offrir des beignets, un été, et qui était revenu l’été d’après, puis le suivant. Il y avait ceux que je retrouvais le soir, ces colocataires étranges qui n’étaient que des fils qui passaient dans ma vie sans s’y nouer. Il y avait le vieux Blaise dans son café. La vie suit un cours étrange.

J’allais parfois à Muzenn – je me déplaçais pour les fêtes traditionnelles, celles organisées par les Luskan surtout, celles en l’honneur de Melpomène et de Thalie, deux registres différents mais qui m’allaient, l’un et l’autre, comme un gant. Je jonglais. Les flammes perçaient la nuit, retombaient entre mes doigts gantés de blanc.

J’ai appris à ne plus être méprisé. J’ai appris à être celui que l’on voulait que je sois. Mon Talent était erratique, fruit d’une capitale de sceptiques, et seul mon déguisement de Clown permettait de créer un peu de cet imaginaire nécessaire pour que mon Talent soit à peu près accordé. Je suis retourné voir mes parents – mais celui que j’avais été, celui qui n’avait jamais été assez bon pour eux, était exactement celui qu’ils voulaient que je sois. Le bouc-émissaire. Le coupable. La victime. Le fuyard. Le couard. Je suis reparti. Les rues étaient devenues mon toit – je les connaissais, je connaissais les parisiens, et je savais, à présent, être celui qui illumine le début d’une journée, celui sur qui on peut passer sa colère, celui qu’on ne peut plus mépriser puisqu’il nous apporte ce que l’on cherche.

En tout cas, jusqu’à l’été suivant. Jusqu’au retour du gamin. Quand il était là – je redevenais celui d’avant. Celui qui regarde dans le vide, qui évite les regards, qui se prend des boulettes de papier ou des peaux de bananes, celui qu’on montre du doigt. Qu’il est ridicule, le Clown, qu’il est ridicule…
Pourquoi ? Pourquoi ce garçon voulait-il que je sois celui que je n’étais plus ?

Il a chamboulé mon être – quand il a appris. Quand il a appris et qu’il a cessé de demander. De demander quoique ce soit.

C’était tout vide à l’intérieur. Il me demandait d’être « je », et « je » n’existait pas. Je ne savais plus qui être. Et lui qui me répétait que je n’avais pas besoin d’être qui que ce soit.

Est-ce qu’il se rend compte, seulement, de ce qu’il a fait pour moi ? J’avais 25 ans, et je n’avais jamais été.

Et maintenant j’en ai 32. J’ai quitté Paris, après ça – je n’y étais que par négation, parce que je ne savais pas qu’il était possible de ne pas y être, et il m’a ouvert un monde. « Je ». Je suis parti pour le sud, j’ai fait le tour de l’Espagne, du Portugal.

Puis j’ai appris que M. Cabedoce avait rouvert le Château. Mon Talent de jonglage est étrange – certaines images récentes me surprennent, et je n’arrive pas à comprendre. Peut-être pourrais-je, là-bas, démêler leur sens.


« Leave me bleeding on the bed, see you right back here tomorrow for the next round.
Keep this scene inside your head, as the bruises turn to yellow and the swelling goes down... »


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Iestin Cabedoce
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MessageSujet: Re: Le Clown   Le Clown EmptyLun 3 Fév 2014 - 20:08

Ravi de te voir dans nos rangs  I love you 

Bon jeu !
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Le Clown

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